« On est vraiment obligé d’y aller ? » Comme un gamin, Mason trépignait à l’idée de se rendre au fameux barbecue annuel. Plutôt du type casanier, il n’aimait pas les grandes réunions de ce genre. Enfin, c’était plutôt cette réunion qu’il n’aimait pas. Mais sa femme n’en avait que faire, elle semblait même d’une humeur joviale et excité à l’idée d’aller à ce stupide barbecue. Sa femme le taquina en lui murmurant d’arrêter d’être si grognon et déposa un baiser sur sa joue. Il leva les yeux au ciel en grimaçant avant de prendre sa veste à contre cœur et la rejoindre dans la voiture. La voir heureuse lui donna le sourire, avant de le voir rapidement disparaître sous le poids de la culpabilité qui pesait sur ses épaules. Arrivé au barbecue, Mason fonça tête baissée vers la table ou se trouvait les boissons. Attrapant une bière sans alcool, il trinqua rapidement avec les gens présents autour de la table, échangea des banalités sur la météo et salua d’un signe de tête de vieilles connaissance avant de filer à l’écart et s’allumer une cigarette. Il devait probablement avoir une dizaine de minutes de répit avant que les hostilités commencent. Comme d’habite, les gens allait l’aborder de 3 façons différentes : Le gamin qui avait tellement foutu la merde quand il était jeune qu’il était presque impensable qu’il soit devenu flic, le « héros » qui avait arrêter le tireur fou lors de la fusillade de l’année précédente ou bien le flic minable qui n’était pas arrivé assez tôt pour sauver leurs proches.  Il vit sa femme au loin discuter avec des connaissances, lui faisant signe de les rejoindre. Il lui montra sa cigarette l’air grimaçant, lui faisant comprendre qu’il la rejoindrait une fois fini. Pourquoi avait-il accepté de se faire trainer ici. Encore une fois, il tira nerveusement sur sa cigarette, voyant plus en plus de personnes se joindre au barbecue.

Ce barbecue annuel était une institution en ville. Petit, déjà, il y participait en suivant ses parents ; et tout le reste de la journée, il disparaissait de leur vue, se mêlait aux enfants des voisins, hurlait, riait. Cette journée, chaque année, demeurait l’un de ses meilleurs souvenirs. Et puis, avec l’arrivée de sa fille, il avait repris cette habitude, mieux cette tradition, et les sourires d’Emily à l’arrivée de l’été avait chauffé son cœur plus fortement encore que les premiers rayons de l’astre du jour. L’année dernière, évidemment, on avait annulé ce barbecue, et jamais Edern n’aurait imaginé qu’il fût instauré à nouveau. Aussi, lorsqu’il apprit, dans les détours des couloirs du commissariat de police, qu’on préparait à nouveau ce grand rassemblement, il avait levé les yeux au ciel et passé son chemin.

Jusqu’aux derniers instants, il avait brutalement rejeté l’idée de s’y rendre. Il était resté enfermé chez lui, plongé dans les souvenirs douloureux de son autre vie. La précédente, la belle. Détruite et rendue en lambeaux à présent. Et puis, après une énième bière, alors que ses craintes disparaissaient peu à peu, au même rythme qu’il finissait la bouteille, il s’était levé, avait attrapé un pack dans son frigo et avait quitté son appartement. Le square n’était pas loin, aussi arriva-t-il un peu trop rapidement. Croisant le regard des voisins, il les saluait rapidement, d’un signe de la tête, tira son paquet de cigarettes de la poche arrière de son jean et en alluma une. C’était une mauvaise habitude qui n’avait jamais fait partie des siennes. Jusqu’à une année en arrière. Il avait appris, avec l’expérience, que le mélange alcool-nicotine faisait bien son travail, calmait ses nerfs et le rendait plus vivable, tant qu’il n’abusait ni sur l’un, ni sur l’autre. Il reconnut quelques têtes connues, mais son regard s’attarda surtout sur une silhouette masculine, l’un de ces enfants avec lesquels il jouait quand il était encore en âge, et qu’il côtoyait désormais tous les jours au commissariat. C’était Mason, cet homme qu’il haïssait, qu’il enviait un peu aussi, parce qu’il avait été celui qui avait arrêté Harris. Qui avait arrêté le massacre. Le héros. Il passa à ses cotés, s’attarda quelques secondes. "On se montre ? On fait campagne ? Ou on attend sa médaille ?" murmura-t-il, et il laissa retomber son mégot aux pieds du policier. Rapidement, il offrit un petit signe de la tête à Ana, et passa son chemin. Sourire cynique aux lèvres, il s’arrêta auprès de sa sœur, lui lança un regard en coin. "Tu attends quelqu’un ?"

La mascarade qui se déroulait sous ses yeux le rendait malade. Des faux sourires pour cacher les mines fatiguées, du rouge sur les joues pour cacher les couleurs cadavériques des visages et des habits amples pour dissimuler les pertes de poids. Mais, tous l’air de rien, se battaient pour l’oscar du meilleur acteur, celui qui cacherait le mieux sa détresse. Mason écrasa sa cigarette et encore une fois se plaint à l’idée d’aller se mêler à la foule. Il était déjà en train de réfléchir à une nouvelle excuse, quand il vit quelqu’un venir dans sa direction. Il reconnut tout de suite sa demi-sœur. Ou plutôt belle-sœur, n’étant liés que par le mariage de leur parents. Enfin, même si il ne l’avait jamais avoué et qu’il ne l’avouerait surement jamais, il la considérait comme une vraie sœur sa petite Ana. «  Salut, toi! Comment va mon demi-frère préféré? ». Mason déposa un baiser sur sa joue puis la regarda de haut en bas, loin de lui l’idée d’être discret. Il haussa un sourcil, décocha un sourire et siffla. « Canon, on s’est mis sur son 31 ! » lança-t-il d’un air taquin. Le fait qu’elle flottait dans ses vêtements n’avait pas échappé à Mason. C’était le cas pour beaucoup de gens ici, mais les autres il s’en foutait. « Très bien » s'exclama-t-il sur un ton faussement jovial avant d’ajouter plus bas « Agnes m’a traîné de force ici, s’il te plait, dit moi que tu as un plan de secours et que tu peux m’emmener avec ! ». Il la regarda l’air désespéré avant de rire. Finalement, il n’était pas mieux que les autres, lui aussi tentait tant bien que mal de cacher sa tristesse et ses démons. « Et toi, comment vas-tu ? » Il savait qu’elle allait lui mentir, mais c’était devenu une banalité à Canonsburg. Soudain il vit une silhouette s’approcher, qu’il aurait préféré ne pas voir du tout. Son supérieur Edern Mills. Décidemment, il le croisait plus souvent plus souvent qu’il ne le souhaitait celui-là, comme si le voir tous les jours au boulot ne suffisait pas. Autrefois amis et co-équipiers, une certaine hostilité régnait entre les deux hommes aujourd’hui. « On se montre ? On fait campagne ? Ou on attend sa médaille ? »  murmura le sheriff-adjoint avant d’écraser une cigarette au pied de Mason. Quel connard. Il n’en fallait pas plus pour mettre Mason en rage. Le voyant s’éloigner comme un lâche, Mason s’avança brusquement, ignorant la légère pression sur son épaule qu’il repoussa vivement, sans se rendre compte qu’il s’agissait d’Ana. « T’as un problème Mills ?! »  lança-t-il à l’égard d’Edern. Il se rendit compte seulement après qu’il avait peut-être crié un peu fort en voyant quelque personnes se retourner vers eux.

La jeune femme ne savait même pas ce qu'elle faisait ici. Elle connaissait bon nombre de visages ici, elle souriait à certains et ignorait d'autre. L'archétype même d'une réunion entre voisins, même si cette fois-ci, toute la ville était conviée. On l'avait poussé à s'y rendre, la traînant presque de force en dehors de son bureau avec pour ordre de s'amuser et de se détendre un peu. Lily n'avait jamais vraiment eu l'esprit festif mais elle s'était laissée convaincre. Pour en arriver, à rester dans un coin, un verre à la main faisant certainement encore moins bonne impression qu'un arbre... Se mordant la lèvre, elle n'avait qu'à s'éclipser, elle n'avait encore pas aperçue des gens qu'elle connaissait vraiment. Et pour être honnête, elle n'en avait pas vraiment envie. Depuis son divorce, elle se sentait mal à l'aise en public, ayant l'impression que tout le monde la pointait du doigt. Portant son verre de jus de fruit à la bouche, elle répondait au sms d'un de ses journalistes qui bouclaient le journal de demain quand des éclats de voix retentirent, couvrant la musique de fond. Fronçant les sourcils, Lily releva la tête reconnaissant l'une d'entre elle.

Voulant en avoir le cœur net, la brune décida de quitter son nid et se diriger vers l'endroit d'où les voix semblaient provenir. Arrivant sur place, elle s'arrêta lorsqu'elle vit à qui appartenait la deuxième voix. Mason et Edern... Regardant autour d'elle, Lily aperçut une jeune femme en train de s'éponger et l'autre qui devait certainement être en train de s'excuser. Faisant un pas en arrière, Lily n'avait aucune envie que les deux troubles fêtes ne l'aperçoivent. Observant la scène, elle connaissait assez les deux hommes pour savoir que les choses pouvaient déraper à tout moment et elle restait prête à intervenir - A moins que prendre la fuite avant que l'éruption ne survienne soit une meilleure décision ?

Excitée. C'était le mot qui définissait parfaitement Savee depuis une semaine quand on lui parlait du barbecue. Elle adorait ce genre d’événement qui lui permettait de rencontrer les nouveaux habitants et de parler à ses connaissances. En plus, cette journée était un peu spéciale, c'était le premier barbecue depuis le drame, elle espérait que ça allait changer les idées aux gens. « On va au barbecue ! On va au barbecue ! On va au barbecue ! » Elle ne cessait de répéter cette phrase tout en sautant sur son lit comme une enfant. Elle attendait la réponse d'Ezekiel, qui à force de supporter les remous du lit accepta. Savee était sur son petit nuage, de toute façon elle y aurait été même avec une réponse négative d'Ez'. Une fois prête, il lui annonça qu'il avait quelque chose à faire et qu'il allait la rejoindre plus tard. Elle en doutait mais pour toute réponse, elle haussa les épaules et quitta l'appartement. Ce n'était pas le jour pour argumenter ou se disputer, Savee était tellement pressée d'être au square. Son air jovial ne l'avait pas quitté pendant tout le trajet, elle tenait fièrement son plat où reposait un moelleux au chocolat préparé le matin même. En arrivant, elle vit une femme renversée sa boisson sur une autre, la fête avait commencé sans elle, Savee était un peu déçue. Elle déposa son gâteau sur une table.  Il y avait plus de monde qu'elle ne le pensait, elle était heureuse et ça se voyait ! Un verre de jus d'orange dans une main, elle regardait les deux policiers, apparemment le spectacle du moment.  

Il avait circulé des rumeurs sur le barbecue annuel de Canonsburg. Sûrement le maire préparait-il sa campagne en nous démontrant l'image de l'homme capable d'aller de l'avant. J'avais toujours pensé cette tradition grotesque, mais il aurait été d'autant plus malvenu de ne pas s'y rendre, quand les habitants de la ville eux-mêmes s'y réunissaient. Je m'étais vêtue d'une courte robe aux couleurs printanières. Le soleil nous gratifiant de sa présence, je me devais de lui en faire honneur. Je m'étais appliquée la veille à la préparation de cookies délicieusement parfumés. Chocolat noir, blanc, vanille, rose. L'état de la cuisine avait d'ailleurs amusé Juliett. Je ne pouvais mettre la main à la pâte sans repeindre la tapisserie. Me saisissant de mes clés, mon sac sur le bras et le plateau de biscuits calé maladroitement sur l'autre, je réussis, après quelques tentatives peu fructueuses, à ouvrir la porte. "Tu me rejoins ?" Lançai-je à ma colocataire sans toutefois attendre de réponse. Sur le palier, je repris un semblant d'équilibre afin d'arriver à la fête en ayant évité de potentiels dégâts. Parvenue à Hollins Square, j'observai les personnes déjà présentes, tentant de repérer quelques têtes parmi la foule, et me frayer un chemin jusqu'au buffet. Le bruit environnant, les cris des enfants ainsi que les pleurs étouffés ne tarirent guère mon enthousiasme. Malgré les idées que je me faisais sur l'organisation de cette journée, prendre part à cette manifestation me mettait en joie. L'occasion avait le mérite de nous permettre de prendre une bouffée d'oxygène, d'égayer notre quotidien pour le moins monotone. J'avais fini par repérer la table sur laquelle les convives apportaient à boire et à manger. Je m'y rendis sans plus tarder, une pointe de fierté sur le visage. Mais n'étant pas d'un naturel chanceux, je me sentis vaciller, quelqu'un s'étant visiblement rattrapé de justesse sur moi, avant de constater mes vêtements tachés de bière, la serviette recouvrant mes biscuits avec. Une jeune femme rousse, qui semblait aussi surprise que moi, me fit face, décidant de me demander pardon. Classique. J'aurais certainement eu la même réaction. "Je n'avais pas l'intention de faire des cookies alcoolisés, mais il faut croire qu'ils sont plus appréciés ainsi." Lui répondis-je, décidant de faire l'impasse sur le léger choc qui m'avait secouée. Je vis certains visages riants qui éloignèrent de moi toute envie de me donner en spectacle. Il semblait de plus qu'il y en avait déjà un qui se déroulait sous les yeux ébahis - intrigués - des témoins.

La tension environnante, il ne la remarqua pas immédiatement. Plongé dans les profondeurs des iris de sa sœur, attendant patiemment qu'elle admette que c'était le cas, qu'elle attendait bel et bien quelqu'un, et qu'elle crache finalement le morceau, il ne s'aperçut pas des regards qui vrillaient sa nuque. A peine ressentit-il quelques picotements au niveau du cou alors qu'il tendait la main et déposait le pack de bière sur un coin de la table. Et puis, soudainement, elle s'infiltra par tous les pores de sa peau D'abord parce qu'il perçut de drôles de bruits derrière son dos, comme des chuchotements étouffés, des secrets délivrés dans la plus grande discrétion. Et, finalement, l'explosion. "T'as un problème, Mills ?" Mason. Se retourner et lui faire face n'étaient pas nécessaires pour le reconnaître ; à vrai dire, cette voix, il la connaissait si bien qu'il l'entendait jusque dans ses rêves. Dans ses cauchemars, précisément. Dans l'obscurité de la nuit, cette voix s'élevait et lui rappelait à quel point il était devenu minable, à quel point il s'était éloigné du type que tous connaissaient. Le temps de quelques secondes, l'intéressa s'immobilisa, lança un regard amusé à sa sœur qui tenta, évidemment, de le retenir. Mais c'était trop tard. Déjà, il se retournait en direction du héros. "C'est drôle que ce soit toi qui poses la question..." commença-t-il en haussant les épaules. Il lui lança u regard peu amène et, trop concentré à fixer les traits du policier, il ne remarqua même pas la petite foule autour d'eux. Il ne remarqua pas Lily, et c'était peut-être mieux ainsi. Il ne remarqua pas Eileen non plus. Ne remarqua personne. N'importait plus que cet homme - ce faux ami - qui osait lui faire rendre des comptes alors qu'il était toujours l'un de ses supérieurs hiérarchiques. Cette pensée le fit rire, d'un rire froid et claquant. C'était exactement ça, le problème, le fait qu'il soit son supérieur et que Mason ne l'ait jamais accepté. Cependant, au fond, cela n'avait guère d'importance. Jamais Edern ne serait tombé si bas ; après tout, il l'admettait sans vergogne : c'était lui qui avait provoqué tout ça. "Etant donné que je n'en vois qu'un et que c'est toi." finit-il en mimant l'évidence. S'il avait été chez lui, si tous ces regards n'étaient pas présentement tournés vers lui, il aurait attrapé un verre et l'aurait descendu en quelques courtes secondes. Mais il y avait encore une sonnette d'alarme dans son esprit. Et elle donnait l'alerte. Si faible soit-elle.

Tout chez ce type le dérangeait. Sa gueule pathétique. Le fait qu’il soit son supérieur. Le fait qu’il boive comme un trou. Le fait qu’il agisse comme si la fusillade ne l’avait détruit que lui-même. Le fait qu’il blâme le monde entier pour ce qu’il s’était passé. Le fait qu’il se détruise complètement pour quelque chose qu’il ne pourra jamais changer. L’animosité entre eux faisait même oublier qu’à une époque, oui, ils étaient amis, bon amis, Mason étant même devenu le parrain de la petite Emily. Oui il s’en voulait de ne pas être venu à temps pour la sauver, non il n’avait pas besoin de voir ce déchet d’Edern pour lui rappeler ça.  « C'est drôle que ce soit toi qui poses la question... » Les deux hommes étaient maintenant face à face, tout en gardant une certaine distance entre eux, la tension étant palpable. « Etant donné que je n'en vois qu'un et que c'est toi. » Son poing le démangeait et Mason le voyait déjà s’enfoncer dans sa tête de con. Mais les chuchotements derrière lui qui devenaient de plus en plus forts et de plus en plus nombreux le rappelaient à l’ordre. Mason n’avait aucune envie de s’exposer dans une telle situation devant la majeure partie des habitants de Canonsburg. Mais les sentiments de haine et de rancœur étaient tellement forts qu’à présent, il s’en fichait. Il leva les yeux au ciel et lâcha un léger rire narquois. « Tu sais quoi ? Un ivrogne comme toi ne vaut même pas la peine que je perde mon temps. » Puis jouant avec le feu, il s’approcha un peu plus d’Edern et siffla des paroles que seul lui pouvait entendre. « Ça ne m’étonne pas que ta femme t’ai quitté en voyant le déchet que tu es devenu. » Ce n’était pas le genre de Mason d’agir de la sorte. Mais Edern avait le don de faire ressortir son côté obscur.

Enola avait failli se plier aux exigences de la condition de jeune femme éplorée sauvagement rejetée par son mec et rester cloitrée dans sa chambre d’hotel, son nouveau chez elle, pendant encore une bonne dizaine de jours. Mais quelque chose l’avait poussée à se remuer un peu, et ce n’était absolument pas l’espoir de croiser l’objet de sa décrépitude. Non, celui-là, elle préférait ne pas le voir. Enfin si, mais sans être vue en train de le voir. C’était compliqué, hein, la vie de jeune célibataire ? Bref, il lui fallait sortir, se sociabiliser, foutre la mauvaise ambiance à ce sordide barbecue. En d’autres circonstances, elle aurait peut-être préparé elle-même un truc à manger, mais ses ressources en matière de choses à cuisiner étaient assez restreintes à son nouveau domicile. Alors, après s’être perchée sur son vélo — en chose galante qu’elle était, elle avait laissé la voiture à Rupert, et se demandait d’ailleurs encore pourquoi — elle avait foncé au supermarché, lieu qu’elle ne portait plus tellement dans son coeur depuis un an, et se retrouva là, à errer entre les rayons, à se demander ce qu’elle pouvait bien amener à cette douce festivité qui l’enchantait tant. Les minutes passaient et elle commençait à se sentir stupide, plantée là en plein milieu d’un supermarché à cause d’un évènement ridicule. Alors elle finit par se saisir d’un pack de bouteilles de bière. Tout le monde aimait la bière. Même elle, elle aimait la bière. Tout le monde allait la vénérer. Cela allait être une bonne journée. Après avoir payé, elle regagna sa charmante bicyclette et se mit en route. Elle comprit en arrivant que personne n’allait lui vouer un culte, trop occupés qu’ils étaient tous à observer une altercation alléchante entre deux justiciers boiteux de la bourgade. Tant pis, se résigna-t-elle d’un simple haussement d’épaules en laissant tomber son bolide au sol après avoir récupéré son offrande au peuple de Canonsburg, qu’elle avait calée dans le petit panier rose fixé à son guidon. D’un pas résolu, elle alla déposer son colis sur les tables, tout en se demandant ce qu’elle faisait là. Elle avait aperçu Ana, sa petite protégée tout aussi délabrée qu’elle, mais cette dernière était un peu trop près des esprits échauffés pour qu’elle aille s’aventurer dans cette zone. Préférant ne pas trop se faire remarquer, elle se servit un verre du premier truc sans alcool qu’elle trouva, et commença à observer vaillamment les spécimens qui l’entouraient, histoire de pouvoir rédiger un charmant petit article, faute de s’éclater.

Rupert savait pertinemment ce qui l’avait poussé à se déplacer jusqu’au barbecue collectif et cela se résumait en un mot : Enola. Depuis cette fameuse nuit où elle avait décidé d’une pause dans leur couple, le jeune homme ne l’avait pas vu. Or c’était bien la seule chose qu’il désirait : la voir et lui parler. Lui dire que c’était une solution inepte qui ne ferait qu’aggraver la situation et qu’ils avaient besoin de passer du temps ensemble, de se parler, de se ré-apprivoiser. Il avait donc prévu le coup et avait acheté de quoi se faire bien voir par les habitants. Il savait qu’il ne s’y déplaçait que sur un simple pressentiment et une grande dose d’espoir. Toutefois, dès qu’il fut rentré du travail, il attrapa ce qu’il avait préparé et parti à pieds en direction du barbecue. Il mit peu de tems à arriver sur les lieux, mais ne comprit pas tout de suite ce qu’il se passait. Un groupe de personne s’était amassé pour regarder ce qui semblait être, aux yeux de Rupert qui s’était avancé, une dispute entre deux hommes chargés de la sécurité de la ville. Il regarda un instant la foule d’un œil perplexe, espérant y voir le visage familier qu’il espérait temps, puis finit par détourer les yeux. Légèrement déçu, il se dirigea finalement vers le buffet pour y déposer ce qu’il avait apporté –soit du vin, de la viande en quantité et une salade- et c’est alors qu’il crut la voir. C’était une grande brune, dont il ne pouvait pas voir le visage mais qui avait le gabarit et les jolies fesses d’Enola. Prenant son courage à deux mains, il l’appela : « Enola, c’est toi ? »