«Because in a split second, it's gone.».

lokixdany@tumblr

Le parc semblait plutôt calme pour un mercredi après-midi. Luaine, les bras remplis de sacs divers et variés, tentait péniblement de rejoindre un banc à l'ombre d'un saule pleureur. Après une ultime foulée, elle pu déposer ses paquets dans l'herbe fraîche. Il y en avait des bleus, des jaunes, des rouges, des multicolores, des en plastiques et d'autres en cartons. Mais tous contenaient exactement la même chose : divers accessoires et vêtements pour bébé. La jeune femme s'étira longuement avant de s'affaler de paresseusement sur son siège. En temps normal, elle aurait eu peur que celui-ci se brise sous le poids de ses kilos en trop. Mais elle était déjà trop fatiguée pour se compliquer l'esprit avec ce genre de tergiversation. Et puis, le banc semblait tenir en place : c'était le principal. Elle poussa un grand soupir avant de lever les yeux vers le ciel. C'était la première fois depuis des semaines, voir des mois, qu'elle n'avait pas fait de shopping. Alors forcément, la journée qu'elle venait de passer avait été plutôt éprouvante, surtout pour une femme enceinte. Bien sûr, il y avait eu cette sortie en ville qu'elle avait fait avec son amie, Lou-June, la semaine dernière. Mais ce n'était pas la même chose quand on été accompagné. Aujourd'hui, elle avait dû se lever aux aurores (dix heures, pour elle), afin d'arpenter les boutiques dans l'espoir de trouver des vêtements pour son bébé, qui devait naître dans un peu moins d'un mois. Après un marathon de quatre heures, elle avait trouvé des vêtements potables qui, elle l'espérait, conviendrait aussi bien à un garçon qu'à une fille. Elle s'était ensuite traînée jusqu'au parc pour décompresser avant de rentrer à l'appartement. Le fond de l'air était plutôt frais et, à mesure que les secondes passaient, la jeune femme se sentait petit à petit revivre. Lorsqu'elle eut repris son souffle, elle se pencha pour cueillir une marguerite. Elle adorait jouer avec quand elle était petite, enlever les pétales les unes après les autres tout en répétant la même comptine : Il m'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout. La jeune femme s'interrompit soudainement dans sa rêverie avant de laisser retomber la fleur par terre et de l'écraser du bout de sa ballerine. Elle ne comprenait pas pourquoi elle s'évertuait encore et toujours à faire la même chose. Elle l'avait déjà eu sa réponse. Il ne l'aimait. Il ne l'aimait plus. Elle poussa un long soupir avant de récupérer ses affaires : Il était temps de rentrer.

  Arthur était dans le parc. Il était venu se changer les idées, trouver du courage. Depuis qu'il était arrivé à Canonsburg, il y avait de cela 5 jours, il avait tout fait pour retrouver Luaine. Heureusement pour lui, les gens d'ici semblait l'apprécier, et il avait facilement pu obtenir des renseignements concernant son domicile et sa situation. C'est ainsi qu'il avait appris qu'un homme nommé Elijah Hudlow avait accepté d'héberger Luaine, mais il était loin d'être jaloux, sachant au fond de lui-même que leur amour n'était pas mort. Il avait également appris que sa grossesse était déjà bien avancée, ce qui l'avait rendu fou : il fallait qu'il soit là lors de l'accouchement, pour Luaine et pour l'enfant ! Et si le lendemain, elle accouchait ! Il ne se pardonnerait jamais de ne pas avoir su être suffisamment rapide et perspicace pour la retrouver à temps !
  Car au fond, il n'avait jamais voulu la quitter : effrayé, il s'était enfui, puis il avait hésité durant 5 jours, ne sachant comment se présenter devant Luaine, comment lui expliquer, comment se faire pardonner… Mais ce qui avait été fait était, et il n'y pouvait plus rien. Il avait alors lancé sa campagne de recherche, et les quelques mois qui s'étaient écoulés lui avaient parus bien longs, sans son amour. Puis il était arrivé ici, cette ville paradisiaque de la côte ouest. Décidément, Luaine avait du goût !
  Depuis qu'il était arrivé à Canonsburg, il avait mené une vie d'agent secret, épiant, filant, surveillant, etc. Mais encore une fois, le courage lui manquait, et il n'avait pu que vérifier ce qu'on lui avait dit. Alors il était allé marcher, plus pour se traiter de tous les noms sans qu'on ne le prenne pour un fou que pour se changer les idées.
  C'était ainsi qu'il était tombé nez à nez avec Luaine. Il marchait sur la grande allée centrale quand il L'avait vue. Horrifié à l'idée qu'Elle puisse le voir, il se cacha derrière un grand arbre, et l'observa. Elle avait toujours ce visage angélique, ces yeux rêveurs, mais aussi son innocence, s'était-il dit la voyant se reposer, puis jouer avec les marguerites, comme toujours.
  Mais subitement, il l'avait vue jeter la fleur par terre et saisir ses affaires, prête à repartir. C'était trop fort : il était venu au parc pour se flageller, et voilà qu'un ange rédempteur avait placé sur sa route l'objet de ses erreurs, lui proposant de se racheter. Il ne pouvait laisser tomber l'occasion. Il se releva, et faisant mine de n'être jamais sorti de derrière un arbre, il l'interpella : « Luaine ?!? ».

«Because in a split second, it's gone.».

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Il y a des phrases, des numéros de téléphone, des personnes, des images... Qu'on souhaiterait pouvoir oublier à tout jamais. Et la voix qui résonnait désormais dans les tympans de Luaine faisait partie de ces choses-là. Elle ne se souvenait que trop bien de ce timbre, de ce ton, de ces intonations et de leur propriétaire. Malgré tout, elle n'arrivait pas a y croire, elle ne voulait pas y croire. Après six mois sans nouvelles, voilà qu'il refaisait son entrée comme une fleur. C'était trop facile. Mais peut-être avait-elle rêvé, peut-être était-ce un tour de son imagination ? Depuis qu'Arthur était parti, la jeune femme avait fréquemment fait des rêves dans lesquels il apparaissait, dans lesquels il revenait. Pour s'en assurer, elle fit volte face en direction de la voix qui l'avait interpellé. Il était là : à seulement quelques mètres d'elle. Toujours inchangé après ces quelques mois de séparation, les mêmes cheveux en bataille et l'air penseur. Elle inspira profondément, tentant désespérément de calmer les tremblements qui la gagnaient. Alors que son visage, quelques minutes plus tôt, était rougi par la chaleur, voilà maintenant qu'elle était plus pâle que la mort. Elle avait envie de se jeter sur lui, et de le frapper, de le frapper jusqu'à n'en plus pouvoir. Mais au lieu de ça, elle recula d'un pas, tentant d'instaurer le plus de distance entre eux deux. Puis elle ramassa un caillou par terre, visa et le lança de toutes ses forces dans la direction d'Arthur. Celui-ci atterrit à ses pieds... Il faut dire qu'elle n'avait jamais été douée pour lancer, ni pour viser d'ailleurs. Son geste puéril la gênait profondément, mais elle était prise au dépourvue, elle ne savait pas comment réagir. Jamais, au grand jamais, elle n'avait pu imaginer qu'elle le retrouverait. Et la surprise, encore plus que le reste, l'énervait profondément. Elle ramassa un autre caillou, fit mine de viser, puis se ravisa et le laissa tomber. -Va t'en ! Lui cria-t-elle. Tu n'as rien à faire ici, et je n'ai rien à te dire ! Tu as fait ton choix non ?! Alors laisse-moi tranquille. Elle recula encore d'un pas, enserrant son corps tremblant autour de ses bras. Ses yeux commençaient déjà à s'embuer de larmes. Elle était sensible, bien trop sensible. Elle aurait voulu s'enfuir, loin, très loin, mais ses jambes refusaient de lui obéir. Elle ne comprenait pas pourquoi. Pourquoi revenait-il maintenant alors qu'elle commençait à reconstruire un semblant de vie normal. Pourquoi revenait-il plonger sa vie et son monde dans le chaos le plus total. Elle recula encore un peu avant de trébucher et de s'affaisser sur l'herbe.

  Arthur n’en revenait pas. Pourquoi avait-il fallu qu’il hurle ce nom ? Pourquoi ? Pourquoi avait-il ainsi gâché sa seule chance de retrouver Luaine, de la serrer tout contre lui, de poser doucement ses lèvres sur les siennes, de voir et d’élever son enfant avec elle ? Pourquoi n’avait-il su faire cela avec plus de finesse, de tact ? Elle avait à présent toutes les raisons de le rejeter, de le , de le haïr même.
  Il était là, impuissant spectateur, devant son destin qui se nouait autour de cette scène. Il ne savait que faire, que dire, que penser ; encore une fois indécis.
  Il la vit se retourner, vit ses traits se changer, passer de la beauté de l’innocence à la froideur cruelle de la rage et de la détresse. Il la vit reculer, il la vit hésiter, il la vit renoncer. Il la vit se baisser, saisir une pierre, la lui lancer, comme à un chien. Il entendit sa voix tremblante, de rage ou de douleur, de colère ou de pleurs, lui dire de s’en aller, lui dire de la laisser, lui dire d’abandonner. Il vit les larmes envahir son visage comme elle se retirait. Il vit son corps se recroqueviller sur lui-même comme une feuille à l’agonie sur un bûcher. Et enfin il le vit, son air désespéré alors qu’elle tombait dans l’herbe. Il vit sur le visage de Luaine la peur. Peur de lui, peur de le voir, peur de le retrouver, peur de la souffrance qu’il lui infligerait, peur enfin pour l’enfant qu’elle portait.
  Quand il la vit tomber, Arthur sortit de sa torpeur fataliste. Il courut vers elle, aussi rapidement qu’il le pouvait. Il ne fallait surtout pas qu'il lui arrive quelque chose de mal, pour elle et pour le bébé. Heureusement pour ce dernier, elle était tombée sur le dos, et sa chute avait plus ressemblé à celle d'une plume qu'à celle d'une femme enceinte.
  Lorsqu'il arriva près du corps de Luaine, il s'agenouilla à ses côtés, et, la vue brouillée par ses larmes, il saisit entre les siennes les mains de la jeune femme. Ce premier contact lui parut durer une éternité. Autant de temps que ce qu'il leur avait fallu pour se rejoindre. Mais entre ses mains, il pouvait sentir palpiter le cœur de Luaine ! Mais entre ses mains, c'était une fontaine de saveurs, de parfums et de panoramas qui le submergeaient ! Mais entre ses mains, c'était un échange de souvenirs qui prenait place, et il sentait sous ses doigts l'infinie douceur de Luaine.
  Tout ce temps là, Arthur avait fixé son regard sur ces mains, son premier pas vers le bonheur. Alors il se souvint, et releva les yeux.

«Because in a split second, it's gone.».

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Luaine ne comprenait absolument pas comment elle avait atterri par terre. Elle était assise dans l'herbe fraîche, une jambe en l'air et l'autre replié sous ses fesses, ses bras enserrant son corps tremblant. Prise de vertiges, elle observait le sol pencher dangereusement tout en se demandant qui elle était, ce qu'elle faisait dans un parc et quelle était l'identité de l'inconnu qui courrait vers elle. Celui-ci la rejoignit en quelques foulées avant de s'agenouiller devant elle, prenant ses mains dans les siennes. La jeune femme cligna plusieurs fois les yeux, déboussolée, avant de reprendre ses esprits et de se rendre que son ex fiancé se tenait à seulement quelques centimètres d'elle. Il était là, tout près. Immédiatement, elle sentit son cœur s'accélérer, il battait littéralement à tout rompre. Elle croisait intérieurement les doigts pour qu'Arthur n'entende pas ses pulsations cardiaques, que même un sourd n'aurait pu ignorer. Elle avait beau avoir envie de le haïr de tout son être, une part d'elle-même ne pouvait s'empêcher de revoir en lui son premier béguin de lycéenne, dont elle était encore follement amoureuse. Elle plongea ses yeux dans les siens, oubliant l'espace de quelques secondes sa rancœur, se remémorant tous les bons moments qu'ils avaient passés ensembles. Elle aurait voulu se réfugier dans ses bras en pleurant toutes les larmes de son corps, comme lorsqu'ils avaient quitté Dublin, et lui demander pourquoi il était parti sans un mot. Mais son sens de honneur et de la dignité, de même que sa colère, l'empêchait de s’abaisser à lui pardonner quoi que ce soit. Elle avait bien conscience qu'elle ne pouvait décemment le laisser rentrer dans sa vie après tout ce qu'il lui avait fait. C'était trop facile. Évidemment, elle aussi aurait pu lui tourner dos après que le jeune homme se soit disputé avec ses parents à son sujet, le laissant gérer seul la situation. Mais, au lieu de cela, elle l'avait encouragé et soutenu dans ses décisions. Ils auraient pu avoir tout ce dont ils avaient toujours rêvé, et lui avait tout gâcher. Les premières larmes commençaient déjà à perler du coin de ses yeux avant de glisser le long de ses joues rougit. Lorsque leurs doigts se mêlèrent, elle sembla enfin sortir de sa rêverie et prit conscience de la situation qui lui échappait. Luaine réagit instinctivement en le giflant de toutes ses forces (quoi que grandement limité). Sa main était partie toute seule, de manière mécanique. Elle voulut parler, lui dire qu'elle le détestait et qu'il devait partir mais, elle n'arrivait déjà plus à prononcer un mot, submergé par les émotions. Au lien de ça, elle essaya de reculer encore un peu. Elle devait partir, elle devait s'enfuir, rentrer chez elle, loin de lui. Et appeler quelqu'un. Appeler Lou. Lui parler, elle avait besoin de parler. Tout s'embrouillait dans sa tête.

  La joue d'Arthur était en feu, et son cerveau à feu et à sang. Sur sa joue résonnaient les échos d'une gifle, une gifle pleine de douceur et d'amour à la fois. Dans sa tête, c'était le chaos de la Révolution, et le peuple était dans les rues, avec à sa tête Amour revendiquant la fin de la dictature du monarque Raison. Sur sa joue, une plume d'ange avait tombé, et il n'avait retenu de la violence du choc que la douceur de la main de Luaine, qu'il avait senti un instant plus tôt entre ses mains. Il lui semblait que la flamme qui la dévorait n'était autre que la chaleur de la jeune femme, ou que c'était le feu de sa passion qui embrasait sa joue, lui donnant sa couleur pourpre. Il lui semblait que ce contact si doux et bref de la main de Luaine avec sa joue était une tendre caresse, qu'elle l'appelait à l'amour. Dans son crâne, la dictature des sentiments avait remplacé la monarchie de la raison, et c'était l'euphorie de la Révolution qui peu à peu envahissait son être, et c'était l'amour fou des jeunes adolescents qui reprenait place sur son trône, triomphant en son cœur !
  Et pourtant, il savait que cette claque n'était pas une caresse, que Luaine n'avait pas encore accepté son retour, que la guerre n'était pas finie. Mais l'espoir de cet accomplissement suffisait à son cœur, et sa saute d'humeur était là, bien réelle. De pingouin devenu lion, Arthur avait abandonné la rigueur et l'austérité pour la passion intrépide, et c'était le cœur vaillant qu'il partait au combat, près à tout pour retrouver son amour.
  Mais voilà qu'elle se mettait à bégayer, à hésiter, à reculer, tout comme lui il y avait de cela à peine 5 minutes. Tout, il aurait pu tout affronter ! Tout sauf l'hésitation de Luaine ! Tout sauf sa souffrance ! Qu'elle le repousse, qu'elle le traite comme un chien, qu'elle lui crache sa haine à la face, il l'aurait supporté. Mais pas cela, pas comme ça…
  Il sentait son envie de fuir, son embarras, et, impuissant face à sa détresse qui le faisait souffrir, il se résigna. Non, décidément non, il ne pouvait pas revenir ainsi, après 6 mois d'absence, il ne pouvait pas juste être là l'air de rien, les poches pleines de promesses. Il s'était trompé, il fallait plus que de l'amour, il fallait du temps, le temps de faire cicatriser une plaie laissée à vif durant 6 mois, le temps de faire un deuil. Il comprenait cela très bien, il avait vécu la même chose quand il avait appris qu'ils ne pourraient pas avoir d'enfants. Alors il lui tendit la main, l'aida à se relever, ramassa ses affaires, et la contempla.