Samedi matin dix heures, me voilà réveillée. Oui, je suis une lève tard chronique. J’aime mon lit. Sa chaleur, sa douceur, le fait qu’il ne me juge pas quoique je fasse ou dise… Oui bon, en même temps, c’est un lit, et un meuble, ça ne parle pas… Sinon, les poules auraient des dents… Et le jour où les poules auront des dents, elles pourront se défendre et foutre une putain de raclée aux éleveurs qui bossent pour KFC… Et là, ça sera la fin du monde, parce que le poulet chez KFC est grave bon… Oui, bon, je vous vois arrivé avec vos discours anti fast-foods à deux balles… C’est mal d’engraisser les poulets et tout ça… Mais moi, j’aime le KFC et de toute façon, que je l’aime ou pas, ça change rien. Voilà. Bref, je me lève, un peu éreintée par la soirée passée la veille. J’suis sortie avec des amies et forcément, ça s’est fini d’une manière assez calamiteuse et les quelques bleus que je retrouve sur ma peau, lorsque je prends ma douche en témoignent aisément. J’crois que j’aurais du freiner sur la boisson… j’ai même le léger souvenir d’avoir dansé la macarena sur le bar… La honte…

Vingt minutes plus tard, j’entre dans la cuisine, prends mon fidèle bol de chocapic adoré et j’m’installe sur le canapé devant la télévision. Jusqu’ici, rien de bien extraordinaire, mais alors que je fous mon bol dans l’évier, une fois mon petit-déjeuner terminé, mon regard se pose sur un carton… là… dans le couloir. Bizarre que je ne l’ai pas vu plus tôt… Bizarre, mais pas impossible ! En effet, tant que j’ai pas avalé mon bol de cacao, j’ai pas les yeux en face des trous. Je fronce les sourcils et m’approche du carton. Il y a une note, de Eileen, ma colocataire. Je reconnais facilement son écriture arrondie et gracieuse. « J’ai acheté ce meuble, mais j’ai pas eu le temps de le monter. Tu peux le faire ? ». Elle doit bosser, ce qui explique le fait qu’elle ne soit pas là… Mais tout de même ! Elle sait très bien à quel point j’suis une bille, encore plus niveau bricolage. Enfin bon, c’est l’occasion de prouver au monde entier - enfin, à ma coloc et ma mère surtout - que je peux être douée en quelque chose.

Une demi-heure plus tard, le front en sueur, j’admire le meuble devant moi… Enfin, meuble est un bien grand mot. J’ai beau regarder l’image sur la notice maintes et maintes fois, pas moyen de retrouver un truc en commun avec le meuble devant moi. J’ai dû me gourer quelque part, mais franchement, Ikea c’est quand même des gros connards ! C’est quoi ces notices toutes pourries ? On dirait un langage inconnu ! Limite faut faire bac plus douze pour y comprendre quelque chose ! Bref, ça fera bien l’affaire ! « C’est quoi ça ? ». Je lève les yeux et Eileen est là, devant moi, à l’entrée du salon. Ses yeux sont grands ouverts, observant avec stupéfaction le meuble au milieu de la pièce. « Bah le meuble que t’as acheté ce matin ! ». Ça me parait logique. C’est pas non plus mon passe temps favori d’assembler des planches de bois ! J’suis pas Bob le bricoleur aux dernières nouvelles ! Et puis de toute façon, j’ai pas envie de l’être. Non mais déjà, s’appeler Bob, c’est bien bidon, encore plus pour une fille, mais en plus, être bricoleur, c’est tout nul comme métier ! Genre t’enfonce des clous toute la journée ! Youpi ! Bon, il n’y a pas de sous métiers dans la vie, mais moi, c’est pas mon truc et ça se voit. « C’était sensé être une bibliothèque… ». Ah oui… Bah comme elle dit, c’était « sensé », parce que là, à la limite, ça ressemble plus à une œuvre d’art. J’devrais penser à me reconvertir. Du style, Picasso des temps modernes ! Le cubisme en mode Ikea. De toute façon, ça marcherait bien parce que rien que les noms des meubles là bas, ça ferait un nom d’œuvre d’art trop cool. En fait, les designers de chez Ikea, c’est des Picasso refoulés. Ils ont pas réussi dans l’art, du coup, ils se sont foutus dans le design de meubles et ils sont allés chercher des noms imprononçables. Haha, j’suis pas journaliste pour rien ! On me l’a fait pas à moi !  « bah regarde, », que je commence, attrapant un livre qui traînait sur la table basse et le posant sur l’étagère de mon meuble tout juste monté. « On met des livres dessus et pouf, ça fait une bibliothèque ! ». Et ouais ! Faut voir grand dans la vie ! « C’est pas l’aspect qui compte, mais ce qu’on en fait ! », que je récite fièrement… Enfin, jusqu’au moment où Eileen soupire et que… le meuble s’effondre… Là… sous nos yeux… Je reste stoïque un instant, refusant d’y croire. QUOI ?!? Mais c’est quoi ce bordel ?!? « Bah voilà, t’as fait du vent en soupirant et t’as tout cassé ! ». Oui, je suis de mauvaise foi. Oui, je le vis bien. Et alors ? Eileen décide de prendre ça à la rigolade et un petit rictus amusé se dessine sur son visage parfait… Ouais, son visage est parfait. J’suis allée voir sur internet et j’ai mesuré son nez, la distance entre ses yeux et tout le tralala… Bon, j’ai fait ça pendant qu’elle faisait la sieste devant les feux de l’amour… Mais même ! Genre, les dimensions de son visage sont parfaites. Vraiment ! C’est hallucinant, non ? Bref, elle se retient de se foutre de ma gueule… mais lorsque son regard tombe sur l’horloge accrochée au-dessus de la télévision, sa mine blêmit brusquement. « J’suis à la bourre ! ». Et ni une, ni deux, elle tourne les talons et claque la porte derrière elle. Moi j’me retrouve comme une conne, avec mes quatre planches par terre. J’vais faire quoi de ça moi ? A peine ai-je le temps de sortir du salon que la sonnette se fait entendre. Je lève les yeux au ciel, persuadée que c’est Eileen qui a oublié ses clefs… Quelle tête en l’air… Oui, bon, j’suis mal placée pour  l’ouvrir, mais j’m’en fou, j’le dis quand même ! Je m’élance donc jusqu’à la porte d’entrée que j’ouvre précipitamment, ouvrant ma grande bouche dans la foulée. « Tu sais, c’est bien de pas oublier ses clefs quelques fo… ». Je me stoppe brusquement lorsque mon regard ne se pose pas sur ma blonde préférée… mais sur une jolie brunette… Complètement inconnue au bataillon. Elle est plutôt mignonne, mais j’ai beau la dévisager, pas moyen de la trouver familière. « Si c’est pour nous vendre vos chaînes câblées hors de prix, c’est pas la peine, on est pauvres ! ». C’est complètement faux. Bon, on n’est pas riches non plus, mais c’est pas chez Crésus ici ! « Et si vous êtes témoin de Jéhovah ou j’sais pas quelle autre connerie, allez plutôt frapper à la porte en face ! ». Ma vieille voisine le mérite bien ! Cette connasse qui doit avoisiner les mille ans n’en loupe jamais une pour me faire chier, pour une fois, je lui retourne la pareille !